Le Zen de la Clarté Silencieuse
Mokusho-Zen
Permettez-moi de partager avec vous, un précieux poème de maître Wanshi (Honghzi) issu de son recueil, le Chant de l'illumination silencieuse « Mokushoka ».
Le merveilleux demeure dans le silence,
L’effort s’oublie dans la clarté.
Dans l’assise dépouillée, laissant le corps-esprit au repos et disponible, sans délibération personnelle ou s'enfermer dans des choix et l'adhérence de ceci ou le rejeter de cela nous ouvre à la simplicité fondamentale et non artificielle. Nous demeurons assis avec aisance, sans stagner comme l'eau croupie, en laissant les nuages s’évaporer dans cet espace tranquille. Alors lorsque vous remuez quelque chose, comme la moindre sensation, vous risquez de troubler par choix la surface de l’eau. Une personne pratiquant la Voie n’a plus rien à défendre.
Nous sommes désireux de vouloir dépoussiérer le vaste miroir, avec des artifices et des techniques, certes parfois utile. Mais la nature de l'esprit est pure comme l’espace. Une nature simple ni fabriquée ni non fabriquée. Pour l’esprit réalisé, il n'y a pas de dualité ni même de non-dualité. Pour le Tathagata (Ainsi venu), dualité et non-dualité ne sont plus deux mondes différents de transition opposée l’un à l’autre. Cela n'a jamais été ainsi. Juste un instant dynamique. Il n'y a plus le moindre obstacle même de quête guerrière ou aventureuse pour la libération des obstacles. C’est infiniment subtil et délicat. L’instant de l'assise dépouillée actualise sans cesse cet instant de clarté silencieux.
En se fondant dans la totalité, on ne conçoit plus l’extérieur comme indissociable de l’esprit. C’est la réalisation de la totalité dynamique (Zenki). En cessant de juger les pensées en fonction de nos critères personnels, elle se libère dès qu’elles apparaissent. Dès que vous laissez, les vues s’effacent dans le silence. Toutes les perceptions s’unissent à l’espace. Lumineux ou obscur, le cœur de la lune est toujours présent.
Le merveilleux se manifeste sans effort de volonté. Essayez de comprendre ce que cela signifie ! La nature de l'esprit est-elle qu'on ne peut y trouver la moindre entité percevant ou perçue.
Alors, savez-vous ce qu’est l’espace ?
Le septième patriarche, le vénérable Vasumitra, dit: « L'esprit est la même chose que le monde concret de l'espace, et il révèle la réalité, qui est semblable à l'espace. Quand on expérimente l'espace, il n'y a ni bien ni mal. »
Même en fermant les mains de la pensée, l'espace continuera de vous envelopper délicatement. Vous ne trouverez aucune porte d’entrée ni même de sortie. Aucune porte ! L’espace vide n'est pas la conséquence d’une fabrication ou d'un déplacement d’objet matériel ou immatériel.
Dans le trésor de l’Abhidharma Vasubandhu nous dit ceci : « L'espace est "ce qui n'empêche pas". » Il commente ensuite : « L'espace a pour nature de ne pas empêcher la forme (rúpa) qui, en effet, prend place librement dans l'espace; et aussi de ne pas être empêché par la forme, car l'espace n'est pas délogé par la forme. »
L’espace vide accueille librement les formes et les phénomènes les plus divers. L’ Éveil n'est pas localisable, il n’y a aucune porte à franchir ou quoi que ce soit a gagné dans la pratique. Là où il y a le gain, il y a inévitablement la perte.
Le merveilleux ne dépend ni d’un profit ni de la perte de quelque chose. C’est notamment très subtil. On ne peut rien acquérir ou même éliminer en raison de la nature de l’espace. Étant espace par nature, l’esprit ne peut pas être approprié. C’est un saut décisif dans l’inconnu. La confiance vous sera nécessaire. Surtout quand la moindre résistance de votre part vous maintient dans cette restriction et cet éloignement factice du sujet de l’objet.
Maître Wanshi dira un peu plus loin : « Sans plus dépendre d'un sujet saisissant d'un objet saisi, en un tel moment, ils interagissent ».
Sujet et objet s’influencent mutuellement. Dans l’esprit, le sujet et l’objet, l’intérieur et l’extérieur sont autant d’élaboration de la conscience de soi, cogitant, conceptualise, et transfère sans cesse. Il n’y a rien qu'on puisse nommer « voir » qui soit séparé de ce qui est « observer ». Les formes, les objets et l’environnement proche apparaissent à la conscience des êtres sensibles, comme des vagues sur l'océan de l’esprit. Un détail important, le Sutra de l'entrée à Lanka (Lankavatâra) précise que fondamentalement l'esprit ne produit rien, car l'esprit n'est pas un objet. Il y a une interaction, des mouvements, ce qui appréhende et ce qui est appréhendé peuvent être comparés à l'océan et aux vagues. Il en est comme des vagues que le vent soulève sur l'océan, ces immenses rouleaux qui creusent de profonds ravins sans relâche. L'océan de la conscience fondamentale reste toujours le même ceci peu importe les vagues des consciences qui se reproduisent en se chevauchant. L’incessant mouvement des vagues ne trouble pas l’océan. Cela peut paraître complètement absurde, mais la rationalité n'a plus lieu d’être dans la Claire Présence des insubstantiels. C'est à ce moment précis que le « ne sais pas » prend tout son sens.
L'absence nous ouvre à la transparence. Nous nous laissons fondre dans la réalité. C'est la réalisation de la clarté silencieuse, le fondement de notre pratique. Quand il n'y a plus personne ou un « je » a éclairé. La lumière comme l'obscurité nous traversent.
C’est-à-dire, laisser advenir chaque sensation agréable ou désagréable. De même, la multitude des phénomènes traverse l'espace de la conscience individuelle comme un faisceau lumineux. Le corps-esprit est détendu. L'espace s'ouvre à l’espace. Il y a une limite à notre volonté. Mais nous avons des difficultés à l’accepter. Notre tendance à saisir les objets qu'il soit visuel ou mental et tout aussi fort que celle de les projeter vers quelque chose ou sur quelqu’un.
La saisie comme la projection ont toutes les deux la même agrégation, celle du « moi » identitaire et protecteur des nombreuses structures qui le composent.
Maintenant, des questions demeurent, l’esprit peut-il prêter pleinement attention à un objet sans qu’intervienne aucune notion d’exclusion ou de dualité ? Sans qu’il y ait la supercherie de l’imaginaire et la croyance ?
L’Homme de silence séjourne
Au cœur de la montagne vide
Où se tient-il ?
Dans le moment de l’assise immobile en samadhi, il y a en effet une interaction mutuelle entre l’espace et le silence. Le silence peut-être la métaphore de la sagesse transcendante (Prajna) de l’espace disponible. Mais nous laissons tout simplement cette interaction être manifesté à notre existence. Le vivant s’ouvre à lui-même. Ainsi, sans effort ni résistance, l'espace et le silence se fondent conjointement, indifférencié, manifestant toute la clarté du réel.
Ici, qu’est ce que le réel ? L’immédiat, ou plus communément, « ne pas se raconter d’histoire ». Une clarté du réel libéré de tout effort. L’effort s’oublie dans la clarté silencieuse, murmure maitre Wanshi. L’espace et le silence sont primordiaux pour qu’il y êtes une ouverture au réel. C'est-à-dire de cesser de s'occuper, de se préoccuper, de fabriquer quoi que ce soit, de laisser la place à l’espace et l’absence d’un « je suis »… l'absence d’identification au mouvement des agrégats. Les choses se manifestent quand les conditions sont réunies. L’épuisement et l’usure des concepts arrivent à leur terme quand ils ne sont plus alimentés ni fabriqués. Nous devons être prêts à tout moment à abandonner ce que nous pensons savoir et croire de nous-même. Tant qu’il y a une appropriation à l’illusion, l’irréelle demeure. L'ignorance conditionne l’ignorance.
Sans demeure
les nuages n’ont nul appui.
Nous nous accrochons à des poussières. Les pensées ne sont pas des problèmes à combattre, à supprimer. Le ciel n’a que faire des nuages, dès l’instant que l’on cesse de bavarder avec eux. Nous les laissons se fondre dans la clarté silencieuse de l’esprit. Si nous leur donnons un environnement confortable, c'est-à-dire propice à leur développement, ils finiront par s’attabler. Ne leur donnez pas le thé ! Toutefois, ne croyez pas qu’il soit question également de complaisance ou de paresse.
La pratique réalisation des bouddhas et des patriarches ne cessant de s’actualiser à chaque instant est l’unique mouvement dynamique de notre existence. La compassion pour tous les êtres sensibles est notre refuge le plus précieux. Mais pas seulement, il est aussi question du samadhi joyeux ( Jijuyuzanmaï), libéré de tout effort volontaire, qui n'est d’aucune façon exclusif à un objet, donc sans limites, ni aboutissement.
Ainsi, à la lumière de la prajna, la sagesse transcendante, il n'y a plus d'inquiétude à avoir au sujet de la destination. Nous sommes libres de toute orientation sécurisante et rassurante. Finalement, la Voie semble se pratiquer elle-même et le parcours n’a plus de terminus.
Maintenant, écoutons attentivement les précieux conseils de maître Menzan nous disant : « Le samadhi des bouddhas est rendu vivant par le simple fait de ne pas obscurcir la clarté naturelle et spontanée de l’esprit. »
Donc, ne cherchez pas des traces ou des signes !
Il est vain de fabriquer des commentaires ou vous gratifier à ce sujet.
La clarté silencieuse existe là sans blocage, et le merveilleux brille de lui-même. C’est ainsi que nous recevons les bienfaits de la pratique réalisation que l'on met en pratique par soi-même, « Jijuyuzanmaï. » Ce qui ne peut être connu par la conscience « le merveilleux », nous invite à plonger au cœur de l'inconnu. Le connu n'a rien à offrir, l’inconnu nous ouvre à l’espace. C'est le saut en haut du mât!
Taïun Heidō