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Tsuki (lune) Causerie de Taïun Sensei / le cœur de la lune ( Shingestu 心 月 )

Tsuki (lune) / le cœur de la lune (Shingestu 心 月)

 

 

Permettez-moi de partager avec vous, un précieux poème du Sanshô-Dôei

« éloge de la Voie, au faîte du pin parasol » de maître Dōgen. 

 

Dans le cœur apaisé

demeure la lune transparente

Même les vagues qui s’y brisent 

se transforment en lumière. 

 

La réalisation de la lune, l’astre qui luit dans l’obscurité est aussi la métaphore de l’éveil du Tathagata (l’Ainsi Venu), tout comme l’esprit-un est le Dharma entier et le Dharma entier est l’esprit-un ; une totalité dynamique sans frontière et intemporelle ; une lune silencieuse, sans agitation, offrant sa douce clarté dans l’obscurité. Nous pouvons nous laisser éclairer sereinement et joyeusement par la lune. C’est alors, avec un cœur-esprit apaisé de tous conflits internes, de toutes convoitises, que demeure discrètement la lune (tsuki) transparente, même les vagues de l'existence qui s'y brisent se transforment en clarté. 

 

Les vagues sont les tumultes de la vie quotidienne. C’est ainsi. Elles vont et viennent sans cesse dans la dimension fugitive de la vie. Nous pouvons doucement nous laisser être, ressentant la totalité du corps-esprit en respirant calmement. Lorsque le cœur se laisse éclairé par la lumière silencieuse de l’assise dépouillée, les vagues tumultueuses du monde manifestent la lumière transparente de la lune. Chaque instant de l'existence est le cœur de la lune. Quand la totalité du corps-esprit s’ouvre au cœur de la lune, l'interne et l’externe n'ont plus lieu d’être. La totalité émerge de son éclat originel. Le corps de la Loi est comme l’espace, où la moindre forme se manifeste telle qu’elle. La moindre particule de poussière, la moindre vague que l'on perçoit avec justesse s’accorde avec la totalité de l’océan.  

 

Dans un autre poème très similaire, le poète Dōgen dit  « dans l’eau claire du cœur demeure la lune transparente »… Ici, l’eau claire du cœur est la métaphore du miroir immatériel. La conscience reflète toute chose sans jamais rien posséder. Ce que certains disciples recherchent parfois avec obsession, ils ne pourront jamais l’obtenir. Le cœur de la lune ne possède aucune caractéristique extraordinaire, ainsi il n’y a rien de spécial à donner. L’eau claire du cœur est le corps de la Loi en résonance avec toutes les existences. Il manifeste sa forme au-delà de la forme, c'est-à-dire librement, sans en être l’unique propriétaire. Le corps de la Loi (Dharmakaya) est sans forme unique, car il est dépourvu d’un « soi », il ne discrimine pas entre « moi » et l’autre, entre ce qui est considéré comme « mien » et à l’autre. Ici, rien n’est possédé ni jugé. L'unité des choses ne signifie pas l'appropriation de celle-ci. Sa clarté lumineuse éclaire doucement. Aucun miroir ne possède réellement le reflet. C'est le cœur de la simple assise…

 

Le cœur de la lune n’illumine pas les objets de l’extérieur ni même de l’intérieur, car ils n’ont pas d’existence propre. L'objet n’existe pas.   Sous peine de tomber encore dans la dualité. Malgré tout, à chaque moment nous pouvons bénéficier généreusement de sa clarté silencieuse. Il suffit de simplement s’asseoir et de laisser refléter les phénomènes internes et externes qui surgissent dans le moment.      

 

La lune n’est ni pleine ni incomplète, elle n’est ni nouvelle ni vieille. Elle est la totalité dynamique. Seule, ronde et généreuse, manifestant sa forme selon les choses, en tenant compte des circonstances, mais sans jamais dépendre d’elles, manifestant sa forme dans la moindre goutte d’eau sans jamais être fixée à son hôte. Elle demeure sans cesse insaisissable. Le temps et l'espace n’ont pas de prise sur sa clarté silencieuse. 

 

La pratique-réalisation des bouddhas et des patriarches nous encourage à abandonner nos petits calculs et nos stratégies habituelles, de nous fondre dans le réel afin de laisser la liberté s'exprimer par elle-même. Comment pourrait-il y avoir encore le moindre écart entre pratique et réalisation ? Quand il n'y a plus de combat ni de dualité, ni même de préférence entre dualité et non-dualité. L'ignorance d'une quelconque séparation entre pratique et réalisation est ainsi pleinement reconnue comme une illusion de plus. Le cœur apaisé ne laisse aucune trace d'un quelconque dualisme, car l’hôte a abandonné dans l’instant toute discrimination. 

 

Ce qui se réalise là, dans l'oubli de soi, se manifeste simplement à l’insu de l’observateur, spontanément, sans être conscient de l’être. Il n'y a plus de propriétaire pour revendiquer quoi que ce soit. D’ailleurs, s’il n'y a pas de propriété ni de propriétaire pour s’approprier quoique ce soit, il n'y a évidemment rien à montrer à autrui ni même à transmettre à d'autre. Les mains des patriarches sont vides et grandes ouvertes. De plus, le cœur de la lune ne se préoccupe ni du sujet ni de l’objet.  

 

Que reste-t-il alors ? C'est un point très subtil. C'est l'art de l’absence. L'absence de fabrication, de croyance et de concept à chaque instant et l'absence d'activité intentionnelle à chaque moment d’assise immobile. Nous laissons tout simplement tomber notre biographie personnelle. L’absence n’entrave rien. L’absence laisse l’espace à l’espace sans chercher à faire de la place. 

 

Le maître Shen-Hui, septième patriarche, de la lignée du Ch’an dit :  « La Présence avec absence absolue, l’Absence avec présence absolue, la Présence avec absence d’être, Cela est Absence Absolue ».

 

Vous le comprendrez à votre rythme, mais ce qui n’émerge pas n’a pas lieu de disparaître.

 

L’assise silencieuse est indissociable du cœur de la lune. Elle est le cœur de la lune (tsuki). Sa clarté nous ouvre à une simplicité non fabriquée. Abandonner simplement tout ! Car plus nous fabriquons, plus nous nous éloignons. C'est l'un des piliers de l'enseignement du vieux moine et des patriarches, selon lequel la nature originelle des êtres sensibles, en tant que tels, et au-delà de l'intellect et de l'entendement humain. Vouloir la fabriquer est vain… Mais « au-delà » ne signifie pas qu'il y a un lieu ailleurs « qu’ici » et encore moins qu'il soit nécessaire de supprimer quoique ce soit, mais que celle-ci inclut toutes les dimensions de l’existence. Cette grande qualité presque innée est entièrement actualisée là où vous êtes, là où vous pratiquez avec sincérité.  

 

Le cœur de la lune n'est autre que le visage originel, sans caractéristiques ni propriétaire. Pourquoi devrait-il se limiter à la forme du corps, à l’espace et le temps ? Alors, n’essayez pas de l’associer à quelque chose ou à quelqu’un. S’il vous plaît, comprenez parfaitement, quand on entre en résonance avec la Voie des patriarches, le cœur de la lune se manifeste dans tous les aspects de notre existence. 

 

Faites un pas vers la lune (tsuki) ! Vous y êtes déjà ! 

Que votre pied soit posé ou levé au-dessus du sol, vous ne pouvez pas quitter le lieu de la Voie. La Voie est fondamentalement parfaite, elle est témoin d’elle-même à chaque instant, donc elle n’a pas besoin de nous.     

 

À ma fille, Léa Tsuki.