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Causerie de Taïun Senseï au Zendo Mokudo : L’art de l’absence.

L’art de l’absence. 

 

Il n’y a rien de spécial à regarder ! 

Une montagne lointaine enveloppée d’une brume matinale, 

un silence, puis l’absence et la non-absence au même instant. 

Sans rien rajouter à ce qui est vu, entendu, ressenti et connu.

La réalité du juste ainsi, échappe à notre perception duelle, 

surtout quand celle-ci convoite des réponses, 

des solutions, des vérités.

 

Peut-être, toujours peut-être… 

 

Ainsi, la présence vivante est l’absence absolue d’un « je suis », l’absence de ceci et de cela… elle est : « ni l’une, ni l’autre », ni les deux à la fois. Nous sommes peut-être là au cœur de la non-dualité. Vous êtes là, mais personne ne vous remarque réellement, car vous ne troublez rien. 

 

Vous êtes absent du monde tel le moine Ryokan, oublié du monde. Vous faites partie intégrante de la réalité manifestée et de l’environnement pour finalement vous fondre complètement dans le réel. C'est à ce moment-là que le corps est réellement dans le corps. Lorsque vous êtes au cœur de cette absence absolue qui ne trouble rien. 

 

Je ne parle pas de l'absence physique ou quand nous sommes plongés dans la rêverie et absent de la réalité. Mais plutôt de l'absence comme l’espace disponible qui laisse être toute chose vivante.  Votre présence ne trouble rien, ne rajoute rien. 

 

Une fleur sur une table, l’absence manifestée. Nous nous mettons simplement en vacances de nous-mêmes.  Alors, n’ayez pas peur de ce mot. Voyez-le comme une invitation à l’assise simple et dépouillée. 

 

Laissez-le " je" s'absenter un instant. 

 

L’art de l'absence est peut-être l'antidote à cette insupportable injonction du « je dois être absolument présent », c'est l'antidote à toutes nos obsessions et injonctions à vouloir être absolument attentif à tout ce que nous effectuons, car à trop vouloir être présents nous finissons par être envahissants! Nous cherchons toujours à remplir l’espace avec quelque chose. Comme beaucoup d'entre nous, nous sommes parfois partagés par le désir de reconnaissance personnelle, professionnelle, sociale, d’être important pour les autres, de pouvoir être vu et entendu, et celle de s'effacer à travers une existence épurée, parfois religieuse pour une vie monastique, ou autre, faite de simplicité, de poésie et de recueillement. La question de l'absence et de notre relation avec elle est beaucoup plus présente qu'on peut l’imaginer. Nous avons une sensation d'abandon et de solitude. Certaines personnes réussissent à trancher cette question épineuse en embrassant la Voie des anciens patriarches. Combien approfondissent réellement le sens profond de l'absence ? Peu importe le choix, celui-ci appartient à chacun (e) et doit être respecté. Mais vivre le réel, c'est se fondre dans le réel. La présence vivante est l’absence d’un « je suis », l’absence de cela… 

 

La caresse du vent en automne, le chant des oiseaux, le froid de l'hiver ou la chaleur de l’été, les bruits du monde moderne ou même les tracas de la vie quotidienne ne détruisent en rien la nature originelle. Bien au contraire, elle lui offre toute sa clarté et la définit dans son insaisissable simplicité. Ce que j'essaye de dire, c'est que nous n'avons pas besoin d’opposer « l’absence à la présence », « le visible à l’invisible », « la pureté à l’impureté » pour nous sentir vivants. Les conflits proviennent de cette dualité. 

 

Toutes les « absences » ne sont autres que l’absence de non-prise, d’affirmation, l’absence est pour ainsi dire « présence vivante » lorsque nous laissons tomber complètement notre biographie personnelle. Il n’existe aucune méthode pour comprendre et réaliser cela.  C’est l’art de l’absence. 

 

Contrairement à ce que nous pensons, la présence n'est en rien une affirmation de soi. Tout ceci illustre bien la prise en compte d’un certain désenchantement dans notre cheminement. 

Au bout d'un certain temps, lorsque nous sommes finalement prêts à échouer, le chemin balisé disparait, il n’y plus de trace ni de méthode à suivre. C’est le Dharma d’extinction. 

 

Il en résulte une véritable délivrance. 

La dualité positive et négative n’a plus lieu d’être. Par conséquent, la présence vivante (dans l’intemporalité) est l’absence, c’est une négation ouverte et spacieuse. Un espace où il n’est plus nécessaire d’opposer le positif au négatif. Il n'y a plus de méthode ni de Voie. Car tout est là...