Sanshô-Dôei : Éloge de la Voie, au faîte du pin parasol de maître Dōgen. Causerie de Taïun Sensei
Permettez-moi de partager avec vous, un précieux poème du Sanshô-Dôei « éloge de la voie, au faîte du pin parasol » de maître Dōgen.
Debout
Sur un coteau de la rizière
Sans en avoir conscience
Mais non sans utilité
Veille un épouvantail.
Dans cette éloge à la conduite quotidienne, la plupart de nos actions de tous les jours tels que marcher, se tenir debout, s’asseoir ou se coucher manifestent le cœur de la rizière, c'est-à-dire un cœur-esprit écoutant et délicat. L’épouvantail veille patiemment sur ce qui est là. Malgré son immobilité et l’apparente passivité de sa présence, silencieux, il veille avec assiduité et persévérance. Il ne se laisse pas distraire par l'environnement, ni même par les aléas du temps et du climat. L'épouvantail exprime l'oubli de soi, l’oubli de notre biographie. En s’abandonnant au présent, l’instant s’ouvre à lui-même. Il n’est plus nécessaire de faire ou ne de plus faire, de chercher à influencer, que l’ouvrage reste dans l'histoire ou non, cela ne l'intéresse pas. Sans aucune prétention, sans se soucier de l’utilité de sa tâche, il veille purement et simplement. Sans même en avoir conscience, il est libre de ses propres intentions. L’assise du vieux moine est ainsi. Faisant ce qui doit être fait avec une attention constante et désintéressée.
C’est une invitation à faire corps avec la spontanéité et la gratuité du réel ; nous effectuons les tâches les plus banales, de tous les jours, pour lesquels rien n’est considéré comme vain, rien n’est inutile, ni même insignifiant parce qu'il n’est autre que l’expression du visage originel. Il n'y a plus de grande ni de petite tâche à effectuer.
Lorsque l'on s'assoit en zazen, le renonçant opère, certes, une transition entre l'activité et l’immobilité. Mais celui-ci demeure immobile au milieu de la rizière, avec un esprit soigneux et attentif. Nous pouvons tout aussi bien passer à côté sans même le remarquer, sauf, si éventuellement un regard écoutant le remarque. Dans cette immobilité apparente s'établit une façon très simple et délicate d'être juste là. Assis gratuitement, sans même avoir un motif particulier de s’asseoir. Kayanupassi, la présence au corps en ce moment, en cet espace. La simplicité est importante. Laissez le corps s’asseoir calmement.
Il est toujours question d’équilibre... N’essayez pas de rentrer dans un moule postural.
D’une manière plus directe, quelle que soit l'expérience dans l'instant, c’est le laisser ressentir complètement, ce qui se manifeste. La présence vivante est l’absence d’un « je suis », l’absence de cela...
D’ailleurs, toutes les « absences » ne sont autres que l’absence de non-prise, l’absence est pour ainsi dire « présence vivante ». Il n’existe aucune méthode pour comprendre et réaliser cela.
Tout ceci illustre bien la prise en compte d’un certain désenchantement dans notre cheminement
. Au bout d'un certain temps, lorsque nous sommes finalement prêts à échouer, le chemin balisé disparait, il n’y plus de trace ni de méthode à suivre. C’est le Dharma d’extinction.
Il en résulte une véritable délivrance. La dualité positive et négative n’a plus lieu d’être.
Par conséquent, la présence vivante (dans l’intemporalité) est l’absence, c’est une négation ouverte
et spacieuse. Un espace où il est plus nécessaire d’opposer le positif au négatif.
Il n'y a plus de méthode ni de Voie.
Tout est là...
Peut-être savez-vous, comme le dit maître Obaku Kiun : « Le fondement de la méthode, c'est son absence ; cette méthode sans méthode est encore une méthode... »
Voilà un point très subtil, l’importance de ne rien chercher, car ce qu’on cherche, on le perd en le cherchant. Ne croyez pas qu'il faille aussi bloquer votre esprit ou bien supprimer les pensées.
- Le vaste ciel n'a que faire des nuages, l’espace est libre de tout, l’esprit n’entrave rien. Aucune poussière ne se dépose. -
Alors que faire en premier lieu : posez votre contemplation avec douceur sur la totalité de votre présence corporelle. Même si au début votre attention corporelle n'est pas très claire, quelle que soit l'expérience, ressentez la présence de votre corps puis laissez advenir. Ici, il est question d'une relation intime avec soi-même un soi-même qui s'ouvre et se déploie dans l’espace.
Lorsqu'on commence, nous avons une impression corporelle très lourde, grossière, solidifié, mais alors que vous continuez à laissez encore et encore, patiemment, de manière assidue, en restant libre à chaque expérience, tout désir de vouloir maintenir quoique ce soit se dissout en une vibration subtile, et vous réaliser ainsi la dissolution totale, bhanga.
Parfois, le danger ne se manifeste pas toujours là où on l’imagine. Lorsque les prémices de l’expérience de bhanga (dissolution totale) se manifestent, nous pouvons éprouver une sensation très agréable, mais la première tendance du mental, « manas », est de réagir avec une envie et de s’accrocher à cette expérience. Certaines résistances égotiques peuvent encore persister d'une manière très subtile. Ainsi nous pouvons également éprouver une sensation désagréable lorsque nous sommes encore accrochés à certaines de nos particularités.
Dans tous les cas, il faut rester très prudent, car même si nous fuyons assez facilement une aversion ou une sensation désagréable, de la même manière nous avons aussi fortement tendance à nous approprier à une sensation agréable. Pourtant, cette envie est la mère de la répulsion et la vision profonde dans Satipatthana est de pratiquer, vineyya loke abhijjhadomanassam sans envie ni aversion. Comprenez que la sensation agréable (sukha) est aussi anicca, impermanente, éphémère, rien que des minuscules vagues, des petites bulles, survenant et passant sur le vaste océan de notre existence.
12/11/22
Zendo Mokudo