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Teisho de Taïun Senseï : Ainsi ai-je entendu.

Dans l’écoute, l’attitude de l’esprit est essentielle. De quelle manière nous écoutons l’enseignement ? Ainsi ai-je entendu… Ainsi ai-je entendu l’enseignement de Taïgu, ainsi ai-je entendu l’enseignement de … peu importe.. La question qui peut être posée : de quelle manière écoutons-nous l’enseignement finalement ? De quelle façon écoutons-nous aussi la réalité ? Quelle écoute posons-nous ? Est-elle délicate ? Sommes-nous sélectifs ? 

 

Quand nous laissons infuser les enseignements du Bouddha, nous abordons un certain nombre de questions qui sont fondamentales et subtiles. Certaines questions se déploient sous forme de processus, qui mettent du temps à être appréhendées concrètement. Mais la question de la responsabilité me paraît judicieuse. Nous pouvons la nommer causalité, responsabilité. C'est ainsi que la pratique introduit progressivement les effets et les causes qui vont se manifester dans notre vie. Ce que l’on va faire ou non, ce que l'on ressent, la façon dont nous faisons les choses, et la manière dont l’esprit réagit, pense et interagit, tout cela a son importance. 

 

Maintenant, s’asseoir, simplement s’asseoir, juste cela, juste cela, silencieux, cela permets parfois d’aborder certaines questions d’une manière plus sereine. Dans l’agitation de notre vie (et j’en parlais tout à l’heure avec l’une d’entre vous), nous sommes sans cesse attirés par l’extérieur, dirigé vers l’externe de la relation, mais très peu dans le contact et l’interaction entre l’interne et l’externe. Il y a une telle rapidité dans l’activité que nous passons à côté d’énormément de choses. Voilà pourquoi il est nécessaire de s’arrêter et de se poser tranquillement et surtout gratuitement, c’est-à-dire sans rien rechercher, sans rien convoiter. 

 

Dès lors, tous les moments sont propices, chaque moment, tous les lieux sont propices, même sur un parking, peu importe le lieu, c’est important de cesser d’alimenter ce flot et cette vitesse qui ne cessent sans arrêt de nourrir cette agitation perpétuelle et cette confusion. Oui, nous avons envie de chercher un espace de tranquillité ; mais cet espace de tranquillité est partout ! Nous cherchons un lieu immobile, où l’on puisse se poser; mais ce lieu est partout. L’immobilité est la possibilité de laisser tout mouvement être justement ce qu’il est. Laisser tout mouvement se déposer, se déployer. C’est à cet instant-là que l’on peut ressentir des sensations qui ne sont pas toujours plaisantes, des sensations corporelles par exemple, et alors ressentir notre corps-esprit, au sein même de notre vie. D’ailleurs, la première partie du Satipatthāna traite la question du corps, la contemplation du corps : kāya en pali. 

 

Dans cet arrêt, nous pouvons peut-être contempler qu’il y a des tensions corporelles. Nous pouvons être à l’écoute et nous détendre : y’a-t-il une certaine énergie, ou plutôt une certaine pression dans l’esprit, une agitation ? Il se peut également, à l’opposé, que l’on soit très à l’aise et détendu. 

 

L’essentiel est de ne pas réagir ou juger ce qui se manifeste. L’approche bouddhiste est non violente, non agressive, non réactive. On ne cherche pas non plus à évaluer le pour et le contre de la situation ou le bénéfice, la rentabilité que cela peut nous rapporter. 

 

Notre pratique consiste à entrer en contact, en relation, être au plus près de l’instant et ce qui se déploie comme manifestation physique, sensation, perception : être au plus prêt. Nous plaçons alors la lampe devant. Habituellement, elle est derrière ou sur le côté. Nous nous laissons éclairer et marchons avec confiance. Donc c’est important de bien comprendre que notre approche est une approche non-violente, de non-jugement, car la qualité de la relation sera déterminante. 

 

De quelle façon abordez-vous ce qui est ? De quelle façon observez-vous ce qui est ? De quelle façon écoutez-vous ce qui est dit et ce qui se manifeste ? D’ailleurs, est-ce qu’on entend vraiment ? Est-ce qu’on écoute vraiment? Le fait de se poser, de s’arrêter à sans aucun doute un effet bénéfique.

 

Beaucoup pensent et/ou présuppose que la pratique de l’assise a pour but de calmer l’esprit, à établir la paix. Ceci peut se produire, ou ne pas se produire. D’ailleurs, je dirai que notre approche est de se foutre la paix par rapport à cette question. Peu importe que cela calme, que ce soit calme ou agité. Il n’y a aucune réaction, aucune interaction, aucun choix, aucun bénéfice à la tranquillité et aucun rejet de ce qui est déplaisant. 

 

La pratique de l’assise consiste plutôt à ressentir, à s’autoriser également à sentir corps-esprit, et aussi à éprouver la lourdeur du corps, toutes les sensations déplaisantes qui vont se soulever, surtout. Nos sensations ont tellement de choses à nous enseigner. À en faire l’expérience, c’est-à-dire à entrer enfin, et je dis bien enfin, en relation avec les sensations qui peuvent se manifester. Si la sensation est plaisante, je sais. Si la sensation est plaisante ou déplaisante, peu importe, je sais. Le « je sais » signifie « je ressens ». Je ressens, mais je ne réagis pas. Il n’y a pas de saisie. 

C’est une écoute délicate : « Ainsi ai-je entendu ». Elle ne consiste pas uniquement à entendre un enseignement. La mise en pratique est importante. En cette occasion, ainsi ai-je entendu ! 

 

L’écoute délicate consiste à ne rien rajouter à ce qui se manifeste, à ce que l’on entend et ressent. C’est être éprouvé par l’expérience, par la relation dans l’instant, et un instant qui s’ouvre à l’instant. 

 

Par conséquent, le temps de la session de l’assise, et pendant ce temps que l’on s’accorde, il se peut qu’il y ait beaucoup de phénomènes qui se manifestent. Bien souvent, nous passons complètement  à côté. Il peut y avoir de l’agitation et aussi de la tranquillité, une certaine aisance, de la stabilité. Mais peu importe. Que ce soit plaisant ou déplaisant, c’est OK. C’est OK, c’est tout à fait OK ! Cela ne signifie pas que là, nous perdons notre temps. Une assise agitée, c’est OK. Une assise tranquille, c’est OK. Nous nous efforçons de ne rien cultiver. Il n’y a rien à cultiver et rien à développer. C'est l'éloge du rien. Juste laisser ce qui est naturellement là se manifester. Mais, dans cette relation à nous-mêmes, dans cette intimité délicate, nous entrons en contact avec un niveau beaucoup plus profond de toutes nos tendances compulsives. Nous nous rendons compte que parfois les phénomènes se répètent tout le temps de la même façon, et nous réagissons tout le temps de la même manière. Nous allons répéter tout le temps le même comportement, et continuer à être buté éternellement aux mêmes choses. 

 

« Ainsi ai-je entendu. » De quelle façon ? Comment écoutons-nous ? Comment entrons-nous en contact avec le corps et l’esprit : le corps dans le corps, les sensations dans les sensations, et l'esprit dans l’esprit. Pas uniquement sur le plan intellectuel. 

Être en relation, c’est être en contact avec la dimension la plus profonde de notre humanité et la plus sombre de notre humanité aussi. Pas seulement une assise bien-être et découverte. Cela est réservé à des lieux pour cela, mais pas dans notre tradition. 

 

Dans ces conditions, ce qui se passe se passe. Ce qui se manifeste, ce manifeste. 

Entrer en relation avec l’aspect qu’il soit plaisant, que ce soit un plaisir ou un déplaisir, une colère, un agacement c’est entrer en relation avec les aspects les plus difficiles et les plus déplaisants de notre existence. Cela, c’est un point clé, qui consiste, vous le savez, à voir clairement. La vision juste. Ce n’est pas une vision sélective, qui classe les choses en fonction de ce que j’aime, je n’aime pas, je veux, je ne veux pas, etc,… Ce qui revient à de la discrimination. C’est de pouvoir regarder chaque chose, sans être dans le déni des conséquences, être attentif qu'une sensation désagréable est une sensation désagréable… sans rien rajouter.

 

 

« Ainsi ai-je entendu » ici, aujourd’hui, ce n'est pas être l’unique témoin passif d’un discours, mais être en présence de ça, attentif, observer et écouter nos tendances, tout ce qui attrait aux désirs. Le désir qui est mal orienté, bien sûr. Soyons d’accord. Les exemples dans la vie quotidienne ne manquent pas. Nous avons tous eu l’expérience très plaisante d’une belle nuit. Nous avons laissé un petit peu la fenêtre entrouverte, et ensuite, nous avons déjà senti un froid humide pénétrer dans la chambre et nous avons les bouts des pieds qui dépassent de la couette. Quel est le premier réflexe que nous avons ? Aussitôt, une forte impulsion de partir ou de vouloir fermer la fenêtre ou de se couvrir. Nous sommes à la recherche d’une certaine chaleur finalement. Nos réactions envers le déplaisant sont vraiment automatiques et immédiates, nous ne nous en rendons même pas compte. Dans l’approche bouddhiste, cela ne veut pas dire que nous allons laisser la fenêtre ouverte, et que nous allons se geler les cacahuètes pendant tout le temps de la nuit. Ce serait complètement stupide. 

 

C’est de prendre simplement le temps, quelques instants suffisent, d’observer cette sensation déplaisante, et de conscientiser sans analyse ce qui va se manifester là. Vous allez voir que la façon dont vous allez vous lever sera nettement différente. Ça permet d’observer cette habitude à vouloir fuir ce qui nous dérange, à vouloir le rejeter. Si nous sommes à deux dans le lit, une tendance à vouloir tirer la couette de son côté, et l’autre qui est à côté n’a plus de couette. Voilà. 

Nous ne nous en rendons pas bien compte, mais c’est une attitude égoïste (moi d’abord). Nous l’avons tous fait. Quelques instants suffisent.

 

Ainsi ai-je entendu… le réel. Mais sachant qu’il est important de faire face à ce qui est là, et d’en assumer la responsabilité, avec l'état d'esprit qui convient, peut-être, se poser la question : « Puis-je demeurer avec cela ? Puis-je pendant quelques minutes demeurer avec cette sensation déplaisante de froid et d’humidité ? Puis-je me laisser traverser par ça ? Par cette sensation déplaisante au lieu d’immédiatement me lever, et fermer la fenêtre ? » Juste ça, se poser la question, c’est peut-être intéressant. Nous pouvons éprouver une certaine aversion par rapport à ce qui se manifeste : envers le froid, la pluie, une situation qui est déplaisante. Nous pouvons être tentés également, beaucoup le font, remarquez-le, de fuir la sensation déplaisante dans l’imaginaire, la rêverie, en pensant que ça va régler un problème qui n'en est pas vraiment un. 

 

Nous partons dans l’imaginaire de ses pensées et tournons en rond dans un film qui est bien ficelé, parfois avec pas mal d’effets spéciaux. Il est possible même à un moment donné s’imaginer être assis. Nous nous imaginons être assis ou assise, alors qu’e nous sommes dans l’imagination de l’assise. « J’ai fait un bon Zazen ! Il ne s’est rien passé ! - Non, tu étais uniquement dans l’imaginaire pendant une heure ! » 

Et bien, pendant ce temps-là, pendant ce temps d’arrêt, nous pouvons l’observer sans jugement. Nous pouvons entrer en relation et en contact ; rester présent à ce qui est là, sans réagir, sans même interagir. Comme disait Taïgu, nous ne leurs servons pas le thé finalement. Nous pouvons observer à quel point notre esprit s’échappe, et à quel point nous plongeons également dans cet imaginaire. Cela montre à quel point nous pensons, et nous pensons contrôler notre esprit. Mais qu’en est-il vraiment, finalement ? Qu’en est-il vraiment ?

 

Le moment de l’assise nous ouvre justement à nos tendances, nos tendances à préférer le futur, et à fuir le passé. Notre tendance à toujours être dans une pensée chronologique : passé, présent, futur, et commettre l’erreur de croire que le présent, l’instant présent est dans une chronologie. Pourtant, nous sommes encore saisis, captivés, captés par cette chronologie, finalement. Nous sommes dans la dualité de l’instant. Mais au cœur de l’instant, il n’y a plus de dualité. Nous pouvons observer les nombreuses manifestations et nos tendances personnelles que nous alimentons par le carburant de la soif, c’est-à-dire de la recherche, de la convoitise, de l’aversion, etc.… qui consiste à vouloir prendre, obtenir, souhaiter quelque chose ou bien tout simplement écarter, ou se défaire. 

 

Là, dans la fraîcheur de notre lit, nous marquons un temps d’arrêt et nous écoutons. « Ainsi ai-je entendu… » Il ne s’agit plus de considérer le phénomène comme un ennemi que nous prennons en pleine face, qui nous dérange, mais plutôt de nous ouvrir à ce qui est là, vivre sincèrement l’expérience. Lorsque l’on contemple l’esprit partant dans l’imaginaire, alors ramener une écoute attentive. Je dirai même une écoute délicate. Ainsi ai-je entendu ce qui est là. Ainsi ai-je entendu ce qui se manifeste. Ça peut être intéressant, c’est d’expérimenter cet instant de froideur et d’humidité ou même de chaleur, peut-être aussi, se dire que ce n’est finalement pas aussi terrible que ça. Donc, notre pratique consiste à nous ouvrir en toute simplicité, et non pas à nous fermer dans une exclusivité, dans une sélection ; de nous ouvrir à un espace qui est déjà ouvert. De ne plus chercher un instant qui est déjà là, car plus on cherche l’instant, moins nous le trouvons. Faire pleinement l’expérience de ce qui est là, manifestement là, c’est à dire, laisser la lampe devant et arrêter de regarder en arrière. Alors, nous permettre intimement d’éclairer certains recoins de notre être, que nous n’avons pas l’habitude d’explorer, que nous refuse de voir. Des recoins qui peuvent nous paraître sombres et ignorants, ces aspects de nous-mêmes dont nous n’aurions pas eu connaissance autrement, si nous n’avions pas pris le temps de marquer un temps d’arrêt. 

 

Avec délicatesse 

 

Taïun