Voici une modeste approche d’un thème très complexe. Merci pour votre indulgence.
L’instant s’ouvre à l’instant, sans limites, il se résout à l’inutilité.
Le Shôbôgenzô Uji est un texte délicieux qui aborde la notion de temps. Mais pas le temps tel que nous pouvons l’imaginer. Dôgen fait référence surtout à la notion de causalité, mais également à la notion de production conditionnée.
Pendant l’assise, un poème met venu. Le poème de Maître Wanshi dans le Mokushoka. C’est vraiment très étrange, car il fait justement raisonnance avec le Shôbôgenzô Uji. Dans son Mokushoka, Maître Wanshi nous dit : Le temps sans limite se résout à l’inutile, et rien n’est discernable. Et j’aimerai qu’on s’arrête sur ce poème. Le temps sans limite se résout à l’inutile. Qu’est-ce qu’on a fait du temps ? Nous, Homme moderne. Qu’est-ce que l’on en a fait justement? Et bien, on en a fait une donnée mesurable, quantifiable, et surtout rentable. Vous connaissez bien cette phrase capitaliste : Le temps, c’est de l’argent. Cette capitalisation de la temporalité a sûrement son utilité, je n’ai pas dit son sens, mais son utilité, dans une sphère professionnelle. C’est normal. Sinon, il risquerait même d’y avoir des abus, si on ne comptabilisait pas les horaires, comme certains cadres, par exemple, les horaires seraient très vites monstrueux.
Mais quelle est notre approche à nous, personnel de la notion de temps ? Et comment nous vivons justement ce temps ?
Maître Wanshi nous dit : Le temps sans limite se résout à l’inutile. Le temps n’a aucune utilité... Le temps n’a aucune utilité ! Le temps se résout à l’inutile. Cela fait écho à se donner du temps et être satisfait du temps. On connaît tous ça. J’apprécie ce moment-là. On s’assoit paisiblement. On apprécie le temps qui s’écoule, sans véritablement en comprendre les subtilités. Laisser le temps s’écouler veut dire laisser le temps nous traverser. Mais il faut bien comprendre que le temps ne peut jamais nous satisfaire. Et l’instant n’est pas satisfaisant. On ne peut pas se satisfaire de l’instant présent. Ce n’est pas possible. Pourtant, nous pensons que vivre dans l’instant présent c’est satisfaisant, et cela apporte une forme de bien être. Et bien non. C’est encore une idée, et une illusion que l’on colle. Parce qu’il faut bien comprendre qu’est-ce que l’on entend par l’instant présent, le maintenant.
Un instant est immédiat. Il est instantané. Il est si rapide, que l’on ne peut même pas le discerner, ni même pas le mesurer. L’instant présent, dès l’instant, dès le moment, qu’il atteint notre conscience ordinaire, dès l’instant que l’on commence à penser à l’instant présent, que l’on commence déjà à cogiter dessus, il est déjà passé. C’est déjà du passé. Alors il est difficile pour nous d’admettre justement cette évidence. Car, notre conscience mentale est quand même conditionné sur une temporalité linéaire. Un début, un milieu et une fin. Nous avons l’impression de connaître la durée du temps. Du moins, du temps physique qui s’écoule successivement dans nos vies. Mais le temps qui est mesurable, le temps qui est quantifiable, et le temps que l’on tente de rentabilisé à tout prix est sujet à des conjonctures, ou des modèles qui sont purement mathématiques, mesurables et observables. Mais ce temps-là est un temps qui est subjectif, très relatif.
La plupart de nos observations dépendent d’un point fixe, où l’on est, là. On peut le vivre pendant l’assise, dès lors que l’on perd le motif, dès lors que l’on perd la notion de repère physique, psychologique, qu’est- ce qui se passe? Dès l’instant que l’on arrête de courir après un gain, qu’est-ce qu’il se passe ? On a l’impression que le temps n’existe plus. Donc la plupart de nos observations dépendent en grande partie de la localité où l’on se trouve, y compris de la localité géographique sur Terre. On voit bien avec les décalages horaires, on a pas du tout la même notion de temps, de l’autre côté du globe. Cela dépend aussi de notre structure mentale actuelle, et de nos propres conditionnements personnels. C’est intéressant de voir que les humains ont une certaine conception du temps, et les animaux ont une impression différente de nous. Ils n’ont pas du tout la même structure mentale que nous.
Mais pour connaître précisément la durée d’un instant, c’est inconcevable, c’est impossible. L’instant semble, et est lui même en dehors du temps. En dehors d’un temps qui serait linéaire. Comme je l’ai dit, la notion de linéarité temporelle est uniquement mesurable sur un plan relatif de notre existence physique. Si on étend cette temporalité sur un plan plus cosmologique, voire même universelle, pour ceux qui s’intéressent un peu à tout ce qui est univers et espace, le temps à des échelles beaucoup plus vaste, et totalement superflu. On se rend compte que notre conception du temps ne tient même plus la route.
Alors oui, pour nous le temps s’écoule. Et on a l’impression parfois qu’il s’écoule très vite. Quand on vieillit, on s’en rend compte.
Alors que fait-on de notre temps justement ? Et pourquoi on passe son temps à vouloir le remplir ? Et surtout pourquoi est-ce que l’on court sans arrêt après lui, alors que le temps n’est finalement pas saisissable. Il y a néanmoins un trio indissociable. L’espace, la matière et la causalité sont indissociables. C’est à dire la réalité manifestée, là, qui se renouvelle sans cesse. Comprenez qu’un instant est déjà fini. Un instant contient tout le potentiel des trois temps : passé, présent et futur non défini. Un instant contient à la fois notre passé, notre présent et un futur qui n’est pas défini. On a du mal à admettre justement que dans un instant T tout est présent.
Alors certes, chacun de ces temps à sa propre position, que l’on appelle la position dharmique. Chacun a son propre statut, sa propre temporalité dans l’existence. Ce qui est intéressant dans le Shôbôgenzô Uji justement, c’est que Dôgen a une approche assez révolutionnaire pour son époque. Par ce qu’il associe la notion d’existence à la notion de temps. L’existence est du temps. Bien souvent, on a l’impression que le temps est quelque chose d’absolu, quelque chose d’extérieur à nous. Et bien, Dôgen nous invite à amorcer un bouleversement complet, à considérer que l’existence, et quand il parle d’existence il ne se limite pas seulement à l’existence humaine, il inclût toutes les existences à la fois animés et inanimés. Ce qui veut dire qu’une montagne c’est du temps. Un arbre c’est du temps. Une feuille c’est du temps. Et tous les êtres sensibles sont du temps.
Alors pour reprendre une phrase de Maître Dôgen : la vrai nature de cet hier est aujourd’hui. La vrai nature de cet hier est aujourd’hui. Courir après le passé, en regardant sans arrêt derrière n’améliorera pas votre présent. Et il nous dit : les existences sont du temps. Ce qui veut dire qu’ils sont soumis à une donnée variable, conditionnée, coproduite. On n’y pense peu, mais établir la reconnaissance justement de cet espace temps dans notre réalité, du moins dans notre réel de l’existence, permet l’expansion. Permet au soi-même de s’étendre justement. La notion de temps et d’espace. La notion de moi, la notion de soi est bien souvent réduite à une notion de temps qui est fixe, qui ne bouge pas, qui ne change pas.
Et nous avons l’habitude de nous mouvoir dans l’idée d’un espace temps qui serait linéaire, comme si l’espace, comme je l’ai dit tout à l’heure, complètement séparé de notre vie, alors que le temps fait partie intégrante, et nous sommes du temps. D’une certaine façon, nous sommes la causalité manifestée. Nous sommes du temps incarné, manifesté.
Alors qu’est-ce que le temps? Le but n’est pas de répondre d’un point de vue scientifique. Mettez vous ça de côté. Le zen n’a pas à rentrer dans la case scientifique, et n’a pas à répondre non plus sur le plan scientifique. Il est très difficile de répondre concrètement à cette question : qu’est-ce que le temps humain? Alors, on peut sortir des outils mesurables, mais ce n’est pas de ça que je parle. Qu’est-ce que le temps humain? Pourtant cette question n’arrête pas de nous obséder, consciemment ou inconsciemment. On passe son temps même à courir après lui. Mais c’est important de se poser la question : Qu’est-ce que le temps humain? Comment vit-once temps présent? Le temps est présent partout, y compris dans notre alimentation. Quand on mange un produit, un fruit, une viande, on mange du temps. C’est- à-dire de la causalité. On participe à une causalité qui est environnante. Et ça, on n’y pense pas non plus. Tout ce que l’on fait est du temps. C’est-à-dire de la causalité. C’est-à-dire on produit, on coproduit plutôt. On participe à la production, à la coproduction. C’est-à-dire cause et effet. C’est à ça que Dôgen tente de nous sensibiliser. Il essaie de nous libérer justement et de nous ouvrir à l’inexistence du soi. D’un soi qui serait fixe permanent et autonome. Le temps est soumis à des variables, plus ou moins. On a l’impression que le temps est constant. Et pourtant, quand on voyage, ne serait ce que d’un pays à un autre, même quand on commence à aller au-delà même de notre petite planète, comme je l’ai dit tout à l’heure, on se rend compte que le temps est complètement superflu. La notion de temps humain est plus une notion de temps psychologique. et la notion de temps universelle, liée au cosmos et à l’univers n’est pas du tout la même.
Alors vous l’avez compris, le temps est complètement lié aux êtres animés et inanimés. Le temps est lié à nous profondément, et nous sommes du temps justement. Que ce soit des rivières, des montagnes ou des fleurs, peu importe. L’environnement, et même les animaux, y compris les insectes sont du temps. C’est-à-dire de la causalité. Ils participent justement à la coproduction. Cela veut dire que tout ce que nous faisons, ce que nous disons, tout ce que l’on produit à des conséquences : cause et effet. Mais, même là, attention!
On interprète la loi de la cause à l’effet toujours dans un plan linéaire. Alors que dans la pensée bouddhique, et la science commence maintenant, avec la physique quantique et autre, à donner raison à ce que les sages ont bien longtemps dit. C’est qu’une cause peut être un effet, et un effet peut être une cause. Et dans une cause, il y a l’effet qui y est compris. Le potentiel est déjà là, sinon les choses ne se manifestent pas.
Donc pour revenir à cet instant présent, tous ces livres et ces stages de développement personnel qu’on vous apprend à revenir à l’instant présent ne fait que vous inviter à revenir au passé finalement. C’est pour ça que cela ne marche pas. Vous aurez beau lire des tonnes de livres sur le pouvoir de l’instant présent, si vous y allez avec un motif de gain, vous êtes déjà dans le passé. Vous êtes déjà dans le conditionné. Vivre complètement l’instant présent, c’est se laisser traverser par lui. C’est laisser le temps s’écouler, dynamique, comme le poète qui est assis et qui laisse les choses se manifester librement. C’est-à-dire être sans motif. L’instant est aussi bref qu’un battement de cil, aussi bref qu’un œil qui cligne. Et dans cet instant T, la vie peut nous paraître immobile, voire inchangé. On sent bien quand même que quelque chose échappe à notre manière habituelle de pensée. On fait des plans, des stratégies, en pensant gagner du temps, mais on ne fait qu’en perdre. On perd en nous l’essentiel qui est maintenant. Trop tard, c’est fini ! C’est déjà du passé. L’instant présent, l'immédiateté est indomptable, insaisissable, non quantifiable, non mesurable. Tout ce que l’on mesure, c’est du passé. C’est du temps qui semble s’écouler. Mais ce temps qui s’écoule, que l’on mesure, dépend en grande partie de plein de variables, comme je l’ai dit tout à l’heure : la position, l’observation, et nos conditionnements personnels. Nous sommes structurés, d’une certaine manière, conditionnés à percevoir un temps linéaire, car le temps est si rapide. Notre conscience mentale a un impact énorme sur notre perception temporelle et physique. Heureusement qu’il y a un temps relatif, sinon je ne vous explique pas là longueur d’un film, cela dure une éternité. Alors si cela est un navet... Des conversations à ne plus finir, bref. Il y a bien un temps qui existe qui est un temps relatif. Mais là où il y a la relativité, il y a également une autre dimension dont il faut tenir compte, et celle-ci nous paraît mystérieuse. Et elle est mystérieuse, et insaisissable. Donc oui, quelque chose échappe à notre manière habituelle de voir de penser et de vivre.
Nous le savons bien, notre manière de pensée actuelle peine à comprendre cette fulgurance du temps qui nous échappe et qui nous échappera tout le temps finalement. On a du mal à concevoir qu’un phénomène ne dépend ni de l’apparition ni de la disparition. Que finalement les choses qui apparaissent ne sont déjà plus là. Que là où il y a la naissance, il y a la mort, au même instant, au même moment.
Comme nous dit Dôgen, dans chaque moment du temps se trouve tout ce qui existe dans le monde de toutes les existences. C’est une phrase importante. Dans chaque moment du temps se trouve tout ce qui existe et l’existence est semblable à un instant. Juste un instant. Alors sommes nous capables justement de nous laisser surprendre par cette fugacité ? Nous laisser bouleverser justement par l’instantanéité de la vie qui est là maintenant. Qui se manifeste. Pouvons-nous nous laisser surprendre sans forcément à chercher à coller du connu, ce que l’on sait ? Est ce qu’on peut apprécier cet instant T, sans chercher à mesurer, à quantifier, à retenir ? A coller une vision qui est fixe que l’on croit prédéterminer à l’avance ? Je rappelle que la notion de prédestination et de destinée n’ont pas à être dans le bouddhisme.
La notion de destin n’existe pas dans le bouddhisme. Les choses ne sont pas prédéfinis à l’avance. Sinon, tout ce que je dis là va à la poubelle. Rien n’est prédéfini à l’avance. Tout s’inscrit dans un instant T, selon un schéma de causes et de conditions, parfois même qui ne vont pas forcément dans un sens, mais dans l’autre. On a l’impression que le temps s’écoule d’un point A pour aller jusqu’à un point B, alors qu’en vérité il y a une notion cyclique. C’est très présent dans le pensée orientale. On le voit par exemple, dans l’univers. On observe des étoiles lointaines, mais on ne voit que leurs passés. Elles ne sont déjà plus là si cela se trouve. On ne fait que voir la lumière, l’image qui pénètre jusqu’à nous. C’est un peu comme aller au cinéma. On voit un acteur, on a l’impression qu’il est toujours là, sauf qu’il est mort il y à longtemps. Donc on voit bien justement, qu’à l’échelle de l’univers, on ne peut pas percevoir l’instant même. C’est impossible. On ne peut pas. Dès l’instant que l’on observe quelque chose, on observe son passé, un moment fugace, un souvenir. À l’échelle cosmique. C’est incroyable de savoir que l’on ne pourra jamais voir la naissance d’une étoile à un instant T, à moins d’être sur place. Mais vraiment devant. Mais toute observation à une certaine échelle de dimension, est toujours liée à du temps, de l’espace de la matière et du passé.
Alors, cela rend humble un peu, voire beaucoup sur ce que l’on croit savoir et ce que l’on croit comprendre finalement. Que la plupart de nos observations sont déjà des observations basées sur des choses passées. Donc cela nous ouvre justement à cet impermanence des choses. Et nous libère d’une certaine façon de certaines de nos certitudes où l’on croit que les choses sont comme ça. Elles sont comme ça peut être là. On ferme les yeux, on les réouvre, c’est déjà fini, cela à déjà changer.