Qu’est-ce qui unit les pratiquants du zen ?
Je dirai : une relation qui n’est pas fondée sur la séduction. La formule paraît impossible à réaliser. Nous sommes des êtres sociaux et nous avons besoin plus que d’une simple reconnaissance mutuelle, nous recherchons le regard d’autrui pour tout à la fois être séduit et séduire. Il faut donc paraître, et selon les critères culturels, savoir parler, savoir s’habiller, savoir construire sa vie. Toute entreprise de sabotage du processus de séduction condamne celui qui l’exerce à l’incompréhension et à la solitude, plus sûrement à la marginalité ou à l’exclusion.
Pourtant la voie du zen n’est que cela : le sabotage de la séduction. Le rôle de l’enseignant est essentiel car il doit exprimer dans sa vie l’impossible. J’ai eu la chance de rencontrer et de pratiquer avec le moine Ryôtan qui faisait du sabotage le cœur même de sa pratique. Pratiquer avec lui était très difficile car il coupait d’emblée toute entreprise de séduction. Il n’attirait personne, et n’a jamais rien fait pour attirer quiconque, vous ne pouviez rien attendre de lui et quand il sentait le regard trop insistant des personnes, il faisait en sorte qu’elles partent.
C’est un enseignement âpre, mais si précieux. Précisément : la séduction manifeste la souffrance fondamentale des êtres humains. Tel est l’enseignement du Bouddha. PS : Beaucoup de gens le savent maintenant, je peux donc le dire. Le moine Ryôtan deviendra en 2020 le prochain sôkan, autrement dit le directeur général de l’école sôtô pour l’Europe. Je ne doute pas un instant qu’il continuera le sabotage.
Texte : Jiun Éric Rommeluère.